Rituels de plastique (nord de l’Argentine, 2005)

Dans les provinces de Salta y Jujuy, ainsi que dans la Rioja, les oratoires et les tombes des cimetières sont ornés de bouteilles de soda en plastique. Plus rarement, de bouteilles de vin, de champagne, de vases, etc. C’est en visitant les musées d’archéologie et d’anthropologie de la région que j’ai compris qu’il s’agissait d’un mélange entre les rites funéraires catholiques et la célébration de la Pachamama, la Terre nourricière . Durant le mois d’août, du nord de l’Argentine au Pérou en passant par la Bolivie, les Quechuas et les Aymaras célèbrent en effet la Pachamama en déposant des bouteilles de soda, des cigarettes, parfois des aliments, au creux des nombreux tumulus de pierre ou sur les autels dispersés en pleine montagne. Avant l’ère du plastique, il s’agissait d’offrandes de bouteilles en verre ou de récipients en terre cuite : cultes provenant de l’époque Inca durant laquelle les morts étaient accompagnés par tout ce qui leur était nécessaire pour passer dans l’autre monde. Par exemple des statuettes et des poteries : principalement des contenants.

Coca culte

Aujourd’hui, les autels où les descendants métis des anciens Quechuas et Aymaras célèbrent la Pachamama ressemblent à des dépôts d’ordures, remplis de bouteilles de plastique, ce qui fait rugir les touristes amateurs d’authentique, trop pressés de juger selon leurs critères occidentaux pour comprendre que tous les rites sociaux subissent des évolutions, et qu’à aucun moment de leur histoire ces rites ne sont ni plus ni moins « authentiques » qu’un siècle ou qu’un millénaire plus tôt : ils sont pratiqués, voilà tout. Avec le syncrétisme religieux, l’héritage des Incas et des civilisations antérieures s’est fortement mêlé à celui des envahisseurs européens et ne correspond pas à l’image du « bon sauvage » à la Rousseau que nombre d’occidentaux pressés recherchent quand ils visitent les pays du tiers monde.

La quête de l’ « authentique », toujours… comme si on pouvait effacer la conquista et ses massacres, les villes et les temples incas rasés et remplacés par des cathédrales, les dictatures militaires, ou l’exploitation économique de ces populations par l’Europe et les USA. Le touriste occidental en voyage voudrait s’abstraire de la situation que nos ancêtres et nos modes de vie et de consommation, ont pourtant largement contribué à créer. Mais les bouteilles en plastique des autels de la Pachamama nous rappellent que nous avons fondé un monde où les produits de consommation, les supermarchés et les déchets sont notre seule vérité…